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PANDOSTO OU LE TRIOMPHE DU TEMPS.

l’honneur, si bien que ses désirs ardents lui firent imaginer de nouveaux stratagèmes, car il se fit faire immédiatement un costume de berger, afin de pouvoir aller jaser avec Fawnia sans être reconnu ni soupçonné, et, s’étant rendu seul dans un bosquet touffu adjoignant le palais, il revêtit ce costume ; puis, prenant une grande houlette à sa main, il alla à la découverte de sa bien-aimée. Mais, chemin faisant, se voyant affublé de ces hardes messéantes, il se prit à sourire de sa propre folie, et à se la rapprocher en ces termes : « Bon ? Dorastus, tu gardes un beau décorum ! Étrange changement ! De prince devenir paysan !… Mais, choisis donc les fleurs, non les mauvaises herbes ; les diamants, non les cailloux ; les dames qui peuvent te faire honneur, non les bergères qui peuvent t’avilir. Vénus est peinte dans la soie, non en haillons ; et Cupidon marche d’un pied dédaigneux pour parvenir à la dignité… Et pourtant, Dorastus, ne rougit pas de ces habits de berger. Les dieux célestes ont parfois des pensées terrestres. Neptune est devenu bélier, Jupiter taureau, Apollo berger : ils sont dieux et pourtant ils aiment ; et toi, qui es un homme, tu es obligé d’aimer. »

Tout en se parlant ainsi à lui-même, il arriva à l’endroit où Fawnia gardait ses moutons. Dès que celle-ci le reconnut, elle se leva et lui fit une profonde révérence. Dorastus la prenant par la main lui rendit sa courtoisie dans un doux baiser, et la priant de s’asseoir près de lui, il se mit à établir ainsi sa batterie. « Si tu t’étonnes, Fawnia, de mon étrange accoutrement, le changement de ma pensée te surprendrait bien davantage : l’un ne déshonore que ma forme extérieure, l’autre bouleverse mes facultés intérieures. J’aime, Fawnia, et ce qui plaît à mes amours ne peut me déplaire. Tu avais promis d’aimer Dorastus quand il cesserait d’être prince et devien-