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APPENDICE.

fatale !… Tu auras donc les mers pour refuge, et la barque dure pour berceau ! Au lieu de doux baisers, ce seront les tempêtes amères qui se presseront sur tes lèvres ! Le sifflement des vents sera pour toi le chant de la nourrice, et l’écume salée te tiendra lieu de doux lait !… Laisse-moi baiser ta bouche, enfant bien-aimée, et mouiller de mes larmes tes tendres joues et mettre cette chaîne autour de ton petit cou, afin que, si le destin te sauve, elle puisse aider à te secourir ! Puisque tu vas disparaître dans la vague orageuse, je te dis adieu dans un douloureux baiser, et je prie les dieux de te protéger. » Si grande était sa douleur qu’elle s’évanouit de nouveau, et que, même après être revenue à elle, elle perdit la mémoire et resta longtemps immobile, comme en léthargie. Les gardes la laissèrent dans cette perplexité et portèrent l’enfant au roi, qui commanda que sans délai elle fût mise dans une barque sans voile et sans rien pour la guider et abandonnée au milieu de la mer. Les matelots, émus de pitié pour la dure fortune de l’enfant, la placèrent à l’un des bouts du bateau, sous un berceau de branches vertes qu’ils firent exprès pour la garantir autant que possible du vent et du mauvais temps, puis attachèrent la barque à un navire, la remorquèrent jusqu’en pleine mer, et alors coupèrent la corde. Aussitôt s’éleva une forte tempête qui secoua si violemment le petit bateau, que les marins crurent qu’il devait bientôt chavirer ; l’ouragan devint même si violent qu’ils ne regagnèrent la côte qu’à grand’peine et à grand péril.

Retournons à Pandosto. Celui-ci, ayant assemblé ses nobles et ses conseillers, fit comparaître Bellaria dans un procès public, sous la prévention d’avoir commis l’adultère avec Egistus, d’avoir conspiré avec Franion pour empoisonner Pandosto son époux, et, enfin, le complot