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APPENDICE.

épouse… Et pour ce s’en allant au palais du roi, il trouve celui qu’il cherchait, auquel il fit requête de se venir promener en une église voisine, ayant à lui dire des choses qui lui étaient d’importance. Le comte qui l’aimait lui accorde, et s’en vont au temple même, où les ossements supposés de Fénicie gisaient ; et y entrants seuls, ils vinrent devant le tombeau qui était le monument de la famille Léonatine. Sitôt qu’il est là, il dégaine sa dague, et la baille en main au seigneur de Cardone, lequel fut étonné de cet acte. À Timbrée donc parla Gironde agenouillé, en ces termes : « Illustre seigneur, c’est raison que ce fer que vous tenez en votre main soit celui qui vous venge, et que votre main fasse l’office de telle vengeance, sacrifiant le sang de ce gentilhomme misérable aux os et mémoire de l’innocente Fénicie, laquelle gît ici morte : de la ruine de laquelle moi seul ai été l’occasion. Voici ma gorge, vengez-vous sur elle, et pour vous, et pour votre Fénicie, malheureusement trahie ! » Le comte de Colisan ne savait que penser tant il était étonné de cette occurence ; il fit lever Gironde, jetant le poignard loin de lui, et le pria de lui conter cette histoire, ce que l’autre fit pleurant avec telle véhémence que les sanglots interrompaient souvent sa parole. Le comte oyant ceci fut plus étonné que de chose qu’il eût ouïe de sa vie, et était si triste que la couleur et les larmes qui coulaient le long du visage donnaient assez d’évidence de son altération. Il plaignait celle qu’il estimait morte, et s’offensant du forfait de son ami ennemi, ne voyait guère grande occasion de s’aigrir contre lui, voyant que c’était l’amour qui l’avait induit à ce faire, mais jugeant en soi-même que la défaite de celui-ci ne servirait de rien pour la recouvrance de sa Fénicie. Et pour ce il lui parla ainsi : « Gironde, puisque Dieu a voulu que ce désastre éprouvât ma patience, je