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LES JALOUX.

dans ses effets intimes, mais dans ses conséquences extérieures ; non dans son invisible progression à travers le cœur humain, mais dans ses manifestations éclatantes à travers la vie.

Le spectacle que nous présente le Conte d’hiver est exactement l’inverse de celui qu’Othello va nous offrir. Dans Othello, nous allons assister aux développements graduels de la passion ; nous allons voir une âme se métamorphoser peu à peu sous l’influence du doute, et passer, par une transition insensible d’inquiétudes et de soupçons, de la plus calme sécurité à la plus frénétique défiance. Puis, dès que l’âme sera convaincue de la trahison, le bras frappera, et tout sera dit. Dans le Conte d’hiver l’action commence là même où elle finit dans Othello. Ici, la jalousie naît, pour ainsi dire, sans cause dès les premières scènes ; elle n’est pas le résultat d’un poison lent versé goutte à goutte par quelque Iago ; elle est spontanée et brusque comme un transport au cerveau ; c’est une fièvre cérébrale dont nul n’a pu voir les prodromes et qui ne se révèle que par le délire du patient. C’est une maladie de l’imagination qui se déclare non plus au dénoûment du drame, mais à l’origine. Et comme le malade est roi, son égarement produit une série de catastrophes qui étonnent et bouleversent le monde. Léonte, en effet, c’est le tyran jaloux ; il nous offre l’exemple de ce que peut un homme qui a des millions d’hommes au service de ses caprices, et de ce que produit la passion ivre de toute puissance.

En mettant un sceptre aux mains d’un jaloux, Shakespeare a élevé contre l’absolutisme l’argument irréfutable ; il a prouvé que le prince qui a tout un peuple pour esclave est lui-même l’esclave de ses faiblesses ; et, en dénonçant toutes ses extravagances, il a réfuté le despotisme par l’absurde. Le Conte d’hiver est donc une