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APPENDICE.

félicité insupportable, s’il ne gagnait cette fille pour son épouse, et oyant parler que le mariage d’elle et du comte de Colisan se faisait, fut si saisi de crève-cœur, que, sans avoir égard ni à la raison ni à son honneur, il trama en son esprit une menée indigne d’un cœur noble, et délibéra de semer un champ ample de discorde entre Timbrée et ses nouveaux alliés. Comme il a fait son complot en son âme, il trouve homme tout propre à mal faire, et aussi homme de bien que ceux qui vivent à Paris à gages, n’ayant affaire que de tuer, ou servir de faux témoins, pourvu qu’on leur fasse pleuvoir l’or en leur bourse. Ce galant attitré par Gironde, était un courtisan des plus parfaits, homme de bon esprit, mais qui l’appliquait toujours à mal, dissimulé, déloyal, flatteur, et ne se souciant d’autre chose que du gain présent. Celui-ci bien informé qu’il est, s’en alla vers le comte de Colisan, et le pria qu’il lui pût parler un peu en secret : ce que lui étant octroyé, il commença à ourdir ainsi sa trame en disant : « Monsieur, comme hier je fus averti de l’alliance que Votre Seigneurie fait avec messer Lionato de Lionati, je me trouvai le plus étonné du monde, tant pour voir un si grand seigneur que vous s’abaisser à prendre femme si inégale à votre rang, que pour autre respect de plus grande conséquence, et qui vous touche de si près que, vous le sachant, je m’assure que voudriez avoir donné la moitié de votre bien, et que la chose ne vous fût point advenue. Mais, Monsieur, afin que je ne vous tienne point longuement en suspens, il faut que vous entendiez, ce qui est aussi vrai que l’Évangile que toutes les semaines il y a un gentilhomme, mien ami, qui va coucher deux ou trois fois avec votre Fénicie, et m’assure qu’il ira ce soir, lequel j’y dois accompagner comme j’ai de coutume. Si vous me voulez jurer de n’offenser ni le gentilhomme, mien ami, ni