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LE ROMAN DE TROYLUS.

nous en aller, si ne conseillez-vous pas le meilleur ni le plus honnête conseil. Pensez, en ce temps de guerre plein, ce qui se dirait de vous. La foi serait rompue du roi votre père, et ceci redonderait sur tous vos frères, lesquels vous aurez laissés pour une femme et abandonnés d’aide et de conseil, et encore pouvez savoir que cette chose épouvanterait tous vos autres parents et amis. Aprèz, pensez à mon honnêteté, laquelle j’ai toujours maintenue, comme elle serait chassée et pleine de diffame et du tout défaite et perdue. Et outre ceci, regardez bien tout les choses qui pourraient ensuir. Tant notre amour nous plaît, si est pour ce qu’il convient que de loin en jouissons ; mais si vous m’aviez à votre abandon, tantôt s’éteindrait la flamme de votre ardent désir, et aussi pareillement de moi serait éteinte. Donc, prenons la fortune en lui montrant les dents. Suivons son cours. Feignez d’aller à l’ébat en aucun lieu, et soyez sûr que dedans dix jours je serai ici. » — « J’en suis content, dit Troylus, mais entre deux, mes douleurs de qui auront-ils confort ? Je ne puis passer une seule heure sans grand tourment, si je ne vous vois ; comment donc pourrai-je passer dix jours jusqu’à ce que vous retourniez ? » — « Hélas ! dit Brisaïda, vous me tuez, et votre mélancolie me fait tous les maux du monde ; et vois bien que vous ne vous fiez point en moi, quand ne voulez croire à la promesse que je vous fais. Je ne vous suis point ôtée, mais seulement suis rendue à mon père. Ne cuidez pas que je sois sotte, que je ne sache trouver façon de retourner à vous que j’aime plus que moi-même. Si vous saviez le grand mal que me font les pleurs et les âpres soupirs que je vous vois jeter, vous vous abstineriez de tant en faire. J’ai espérance de tôt retourner pour amour de vous. N’ayez donc plus de douleur que celle que met en la pensée