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NOTES.

CRESSIDA.

— Si jamais j’ai eu pouvoir sur votre âme, — croyez-moi toujours votre fidèle Cressida. — Quoique mon innocence ait l’air du crime, — par cela même que je demande sa grâce, — je ne la sollicite, sachez-le, que parce que sa mort — empêcherait pour toujours mon retour auprès de vous. — Mon père est ici traité comme un esclave et avili ; moi-même, je suis retenue captive dans des liens que je hais…

TROÏLUS.

— Si je pouvais avoir foi en toi, si je pouvais te croire fidèle, — je te ramènerais en triomphe dans Troie, — quand toute la Grèce rallierait ses troupes dispersées, et serait rangée en bataille pour me barrer le passage ! — Mais, ô sirène, je veux fermer l’oreille — à tes accents enchanteurs ; les vents emporteront — sur leurs ailes tes paroles plus légères qu’eux-mêmes.

CRESSIDA.

— Hélas !… Mon amour pour lui n’était que stimulé ! — Si jamais il a eu de moi d’autres gages — que ceux que la modestie peut donner…

DIOMÈDE, montrant un anneau à son doigt.

Non, témoin ceci !… — Va, prends-là, Troyen ; tu la mérite mieux que moi ! — Vous autres, débonnaires et crédules niais, — vous êtes des trésors pour une femme. — J’étais un amant, un amant jaloux, brutal, et taquin, et j’ai douté de ce gage même, jusqu’au jour ou je l’ai possédée ! — Mais elle a fait honneur à sa parole, — et je n’ai plus de raison maintenant de me plaindre d’elle !

CRESSIDA.

— Oh ! impudence sans exemple et effrontée !

TROÏLUS.

— Enfer, montre-moi un supplicié plus misérable que Troïlus.

DIOMÈDE.

— Non, ne t’afflige pas ; je te la cède volontiers ; — je suis satisfait, et j’ose affirmer, au nom de Cressida, — que si elle t’a promis sa personne, — elle s’empressera de s’acquitter de sa dette.

CRESSIDA, tombant à genoux devant Troïlus.

— Mon unique seigneur, par tous les vœux d’amour, — qui sont sacrés, s’il est un pouvoir au-dessus de nous, — et qui sont terribles, s’il est un enfer au-dessous, puissé-je subir toutes les imprécations que votre rage peut proférer contre moi, si je suis infidèle !

DIOMÈDE.

— Vraiment, puisque vous tenez tant à être crue, — je suis fâché de m’être laissé entraîner si loin en paroles, — Soyez donc ce que vous voulez passer pour être. Je sais être reconnaissant.