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TROYLUS ET CRESSIDA, BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN, ETC.

sentée. Elle fut réimprimée pour la seconde fois dans l’édition générale de 1623, où elle paraît avoir été ajoutée après coup. Car elle n’est pas mentionnée dans le catalogue des pièces placé en tête du volume, et elle a été intercalée, sans être paginée, après le feuillet 232, entre la dernière des pièces historiques, Henry VIII et la première des pièces tragiques, Coriolan.

En outre, la division en cinq actes, à laquelle les éditeurs de 1623 ont soumis la plupart des pièces de Shakespeare, n’est pas indiquée dans Troylus et Cressida. Ce qui donnerait à croire que les éditeurs ont fait imprimer à la hâte la pièce qu’ils avaient volontairement ou involontairement omise.

Je ne serais nullement étonné que Heminge et Condell eussent longtemps hésité à réimprimer une œuvre comme Troylus et Cressida, dans un moment où les idées puritaines commençaient à prendre tant d’empire et où le fanatisme de la chaire criait si violemment déjà à l’immoralité du théâtre. Les raisons qui devaient faire proscrire Troylus et Cressida par les niveleurs devaient aider plus tard à son succès. Après la chute de Cromwell et la restauration de Charles II, Dryden, tenté sans doute par un sujet qui présentait tant de côtés licencieux, voulut le remettre sur la scène, sous prétexte, dit-il dans une préface, de « balayer le tas de décombres sous lequel étaient enterrées tant de pensées excellentes. » — Dryden refit l’œuvre de Shakespeare selon le goût de son temps ; c’est-à-dire que, sous couleur d’améliorer la pièce, il la dégrada, lui ôta tout ce qu’elle avait d’épique, accentua tout ce qu’elle avait de scabreux et défigura tous les caractères. Il fit de Troylus un jaloux criminel, de Pandarus un ignoble souteneur, et de Cressida une amante fidèle et calomniée : ce qui ne l’empêcha pas, par une contradiction étrange, de punir Cressida en la forçant à se suicider. Le lecteur pourra se rendre compte de cette dégradation sacrilége par les quelques citations qu’il trouvera plus loin.

(3) Ainsi que je l’ai dit dans l’Introduction, le personnage de Troylus est tout romanesque : il n’a d’homérique que le nom. L’Iliade ne le mentionne qu’une seule fois, et c’est dans le vingt-quatrième chant, au moment où Priam, pleurant ses fils morts, s’écrie : « Nestor beau comme les immortels, Troïlus qui aimait les chevaux, et Hector qui était un dieu parmi les hommes. Mars me les a ravis ! »

(4) Cressida, fille de Calchas, est la même que Briséis qui, dans