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TROYLUS ET CRESSIDA, BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN, ETC.

gnage d’un biographe du xviie siècle qui assure que Shakespeare devenu actionnaire et acteur dans la troupe des comédiens du roi, s’était engagé par traité à leur livrer deux pièces par an. La vente d’un manuscrit étant alors considérée comme équivalant à la cession de tous les droits d’auteur, les comédiens du roi étaient devenus ainsi propriétaires absolus des œuvres de Shakespeare ; et ils en interdisaient la publication par la voie de la presse, afin d’empêcher les troupes rivales de leur faire concurrence en jouant les pièces de Shakespeare, ainsi révélées. Le monopole qu’avait obtenu la troupe du Globe explique pourquoi deux de ces pièces seulement ont été imprimées pendant les dix dernières années que vécut le poëte : le roi Lear en 1608, Troylus et Cressida en 1609. La cession que Shakespeare avait faite de ses œuvres à la compagnie était considérée comme perpétuelle, et voilà pourquoi, sans doute, ce furent deux comédiens qui furent chargés de la publication générale de ces œuvres, sept ans après la mort de l’auteur. L’édition de 1623 mit dans les mains du public anglais seize pièces qui n’avaient jamais été imprimées. — C’est donc à la troupe du roi que le libraire Bonian fait allusion quand il parle de ces grands propriétaires dont la volonté aurait fait si longtemps obstacle à la publication de Troylus et Cressida. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer dans tout ceci, ou la cupidité des comédiens qui, dans leur intérêt sordide, confisquèrent si longtemps au monde entier l’œuvre de Shakespeare, ou l’effronterie de cet éditeur, avouant si fièrement son vol. Mais ce qu’il y a de plus curieux encore dans cette étrange affaire, c’est que ledit éditeur avait fait consacrer légalement son droit de mettre en vente l’ouvrage qu’il avait volé. Le 23 janvier 1608, il avait fait enregistrer au Stationers’ Hall son édition de Troylus et Cressida ! C’est ainsi que la législation d’alors protégeait la propriété littéraire !

Troylus et Cressida est la seule pièce de Shakespeare qui ait été imprimée avant d’être jouée. Nous savons, par l’aveu même du libraire, que cette pièce n’avait pas encore été représentée lors de sa publication en 1609. Et ceci fait justice de l’affirmation de Malone, qui fixe avant 1602 la représentation de Troylus et Cressida. Les registres du Stationers’ Hall contiennent bien, en effet, cette inscription : 7 février, 1602, M. Roberts. Le livre de Troylus et Cressida ; tel qu’il est joué par les hommes de milord Chambellan. Mais l’inscription ici faite est évidemment relative à quelque pièce antérieure faite sur le même sujet ; et, en effet, les livres du chef de troupe Henslowe font mention de certaines sommes avancées à deux