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LES JALOUX.

Il avait, dans l’intérim d’un monologue, transformé ses jeunes premiers en pères nobles, et couvert de rides ses amoureuses, afin de pouvoir marier à la fin les marmots du commencement. Enfin, dernier sacrilége, il avait ajouté une seconde action à la première, et, confondant tous les genres, intercalé une pastorale dans une tragédie. Toutes ces monstruosités, il les avait commises sciemment, après une longue préméditation. Pour Shakespeare, pas de circonstances atténuantes ! Les questions littéraires qui agitèrent si vivement la France après l’apparition du Cid avaient été pleinement discutées en Angleterre du temps d’Élisabeth. Et c’est après ces discussions mémorables, quand la lumière avait été faite par les Philipp Sidney et les Puttenham, quand Ben Jonson avait, avec tant de succès, tenté sur le théâtre la restauration du système classique, c’est alors, dans toute la maturité de l’âge, que Shakespeare avait produit le Conte d’hiver, et que, de la règle violée, le sauvage ! il avait fait naître un chef-d’œuvre !

L’ancienne critique, naturellement prévenue contre une création conçue en dépit de ses formules, n’a pu et n’a dû voir dans le Conte d’hiver que les disparates ; elle n’en a pas compris l’harmonie intime. Là où l’idée était une, elle n’a remarqué que deux intrigues ; elle s’est récriée contre cette double action, et elle n’a pas reconnu, sous cette duplicité même, l’unité que garde constamment la pensée du poëte. Pour bien comprendre l’habile composition du Conte d’hiver, pour saisir l’harmonie profonde de ce drame qui est, à la fois, le plus émouvant et le plus savant des mélodrames, il suffit de le comparer à l’œuvre primitive dont s’est inspiré Shakespeare.

Comme Beaucoup de bruit pour rien, comme Troylus et Cressida, le Conte d’hiver a une origine romanesque.