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LE CONTE D’HIVER.

ton signe de reconnaissance… et puis ceci encore. — S’il plaît à la fortune, il y a là de quoi t’élever, jolie enfant, — et il t’en restera encore…

Tonnerre et éclairs.

La tempête commence… Pauvre petite, — qui, pour la faute de ta mère, est ainsi exposée — à l’abandon et à tous ses hasards !… Je ne puis pleurer, — mais mon cœur saigne. Combien je suis maudit, — d’être obligé par serment à ceci !… Adieu ! — Le jour s’obscurcit de plus en plus : tu vas être — un peu rudement bercée… Je n’ai jamais vu les cieux si sombre de jour…

On entend un rugissement.

Quel cri sauvage ! — Puissé-je heureusement retourner à bord !… Voilà la chasse sur mes talons : — je suis perdu. —

Il s’enfuit poursuivi par un ours.
Arrive un vieux berger.
LE BERGER.

Je voudrais qu’il n’y eût pas d’âge entre dix ans et vingt-trois, ou bien que la jeunesse ne fût qu’un somme tout ce temps-là ; car on ne fait rien dans cet intervalle qu’engrosser les filles, insulter les anciens, voler et se battre…

Lointains rugissements, coups de tonnerre.

Entendez-vous à présent !… Dites-moi si d’autres que des cerveaux brûlés de dix-neuf à vingt-deux ans chasseraient par ce temps-là. Ils ont fait fuir deux de mes meilleurs moutons, et je crains bien que les loups ne les trouvent plutôt que leur maître ; si je les dois découvrir quelque part, c’est au bord de la mer, en train de brouter du lierre. Bonne chance, exauce mon vœu !… Qu’avons-nous là ?

Il ramasse l’enfant.