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LE CONTE D’HIVER.
— et d’une damnable ingratitude ; c’était peu — que tu eusses voulu empoisonner l’honneur du bon Camillo — en lui faisant tuer un roi : ce sont là de pauvres peccadilles — à côté de monstruosités plus fortes ! Passe encore — que tu aies fait jeter aux corbeaux ta petite fille ! — Je compte cela pour rien ou pour peu de chose, bien qu’un démon — eût tiré des larmes de la flamme avant d’en faire autant. — Je ne te reproche pas non plus directement la mort — du jeune prince dont les pensées d’honneur, — pensées trop hautes pour un âge si tendre, ont brisé le cœur, — et qui n’a pu survivre à l’idée qu’un père brutal et stupide — flétrissait sa gracieuse mère. Non, ce n’est pas ce crime — dont je te rends responsable, mais le dernier !… Oh ! seigneurs, quand je l’aurais dit, écriez-vous : « Malheur ! » La reine, la reine, — la plus charmante, la plus adorable créature, est morte ! et la vengeance — n’est pas encore tombée de là-haut !
PREMIER SEIGNEUR.

— Que les puissances suprêmes nous en préservent !

PAULINE.

— Je dis qu’elle est morte ; je suis prête à le jurer : si les paroles et les serments — ne vous convainquent pas, allez et voyez ! Si vous pouvez ramener — la couleur à ses lèvres, l’éclat à ses yeux, — la chaleur au dehors, le souffle au dedans d’elle, je vous servirai — comme je servirais les dieux… Oh ! quant à toi, tyran, — ne te repens pas de ces choses ; car elles sont trop lourdes — pour que tous tes remords puissent les remuer : livre-toi donc — sans hésiter au désespoir. Quand tu plierais mille genoux, — durant dix mille ans, nu, à jeun, — sur une montagne désolée, au milieu d’un hiver — de perpétuels ouragans, tu ne pourrais pas émouvoir les dieux — à regarder où tu es !