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SCÈNE II.
épicer une coupe — qui fermât pour toujours les yeux à mon ennemi ; et ce breuvage serait pour moi un cordial.
CAMILLO.

Sire ! monseigneur ! — oui, je pourrais le faire, et cela non avec un breuvage violent, — mais avec une liqueur lente qui ne trahirait pas, — comme le poison, son action funeste. Mais je ne puis croire — à une telle brèche dans l’honneur de ma maîtresse, — si souverainement vénérable… — Moi qui t’ai tant aimé !

LÉONTE.

Ah ! mets cela en doute, et va pourrir ! Crois-tu que je sois assez écervelé, assez troublé — pour me créer à moi-même ce tourment ? pour souiller — mes draps blancs et immaculés — dont la pureté est mon sommeil, et qui, une fois tachés, — ne sont plus que ronces, épines, orties, queues de guêpe ? — pour mêler le scandale au sang même du prince mon fils, — que je crois bien de moi et que j’aime comme à moi ? — Sans les raisons les mieux mûries, crois-tu que je ferais cela ? — Un homme serait-il à ce point égaré ?

CAMILLO.

Il faut que je vous croie, seigneur ; — en bien, soit ! et je ferai disparaître le roi de Bohême, — pourvu que, lui une fois écarté, votre altesse — consente à rappeler la reine dans la même intimité qu’auparavant, — ne fût-ce que pour le bien de votre fils et pour fermer la bouche à la médisance, dans les cours et dans les États — connus et alliés des vôtres.

LÉONTE.

Tu me conseilles là — justement la marche que je me serais prescrite à moi-même. — Je n’imposerai aucune flétrissure à son honneur, aucune.

CAMILLO.

Monseigneur, — allez donc, et montrez au roi de Bo-