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SCÈNE XI.
à mes yeux ? — Que n’ai-je plutôt, d’une main charitable, — ramassé à ma porte la fille d’un mendiant ? — En la voyant ainsi salie et tout éclaboussée d’infamie, — j’aurais pu dire : « Elle n’est point une partie de moi-même ; — c’est d’entrailles inconnues que sort toute cette honte. » — Mais ma fille, ma fille que j’aimais ! ma fille que je vantais ! — ma fille dont j’étais si fier, et qui était tellement mienne, — que, ne m’appartenant plus moi-même à moi-même, — je n’estimais plus qu’elle ! Ah ! c’est ma fille ! c’est elle qui est tombée — dans ce bourbier ! en sorte que la vaste mer — n’a pas assez de gouttes pour la laver, — ni assez de sel pour rendre la pureté — à sa chair souillée !…
BÉNÉDICT.

Monsieur ! Monsieur ! du calme ! Pour ma part, je suis tellement envahi par la surprise — que je ne sais que dire.

BÉATRICE.

— Oh ! sur mon âme ma cousine est calomniée !

BÉNÉDICT.

— Madame, étiez-vous sa compagne de lit, la nuit dernière !

BÉATRICE.

— Non, vraiment non : c’est la seule nuit, — depuis un an, où je n’aie pas partagé son lit.

LÉONATO.

— Tout se confirme ! Tout se confirme ! Encore un étançon — à ce qui déjà était soutenu par des barreaux de fer ! — Les deux princes mentiraient-ils ? Et Claudio, mentirait-il ? — Lui qui l’aimait tant, qu’en parlant de ses impuretés, — il les lavait de ses larmes ! Éloignons-nous d’elle, laissons-la mourir !

LE MOINE.

— Écoutez-moi un peu. — Si j’ai été silencieux jus-