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SCÈNE V.

DON PEDRO, bas.

Maintenant, qu’on tende pour Béatrice le même filet : c’est l’affaire de votre fille et de sa suivante. Ce sera réjouissant quand chacun d’eux croira à la passion de l’autre, sans qu’il en soit rien, c’est une scène, toute de pantomime, que je veux voir. Envoyons Béatrice l’appeler pour dîner.

Sortent don Pedro Claudio et Léonato.
BÉNÉDICT, sortant de sa cachette.

Ceci ne peut pas être une plaisanterie : la conversation était sérieuse… C’est d’Héro qu’ils tiennent le fait. Ils semblent plaindre Béatrice : il paraît que son affection est en pleine intensité. Elle m’aime ! Allons, il faut qu’elle soit payée de retour… Je viens d’entendre à quel point je suis blâmé : ils disent que je ferai le dédaigneux, si je m’aperçois de son amour ; ils disent aussi qu’elle mourra plutôt que de me donner aucun signe d’affection… Je n’ai jamais pensé à me marier… Je ne dois pas faire le fier… Heureux ceux qui s’entendent critiquer et qui sont mis à même de se corriger ! Ils disent que la dame est jolie !… C’est une vérité dont je puis moi-même déposer ; vertueuse… c’est vrai, je ne puis pas le contester ; spirituelle, excepté dans son amour pour moi !… En effet, ce n’est pas de sa part un grand signe d’esprit…, ni une grande preuve de folie non plus, car je vais devenir horriblement amoureux d’elle… Il se peut qu’on casse encore sur moi quelque énorme sarcasme et quelque poignée d’ironies, parce que je me suis moqué si longtemps du mariage. Mais est-ce que les appétits ne changent pas ? On aime dans sa jeunesse le plat qu’on ne peut souffrir sur ses vieux jours. Est-ce que des quolibets, des phrases, et toutes les boulettes de papier lancées par la cervelle, doivent faire reculer un homme de la carrière de son goût ? Non, il faut que