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TROYLUS ET CRESSIDA.

TROYLUS.

— Qu’on ne le croie pas, pour l’honneur des femmes ! — Songeons que nous avons eu des mères ; ne donnons pas — à ces critiques obstinés, déjà enclins, sans cause, — à la diffamation, un prétexte pour mesurer le sexe entier — sur la règle de Cressida. Croyons plutôt que Cressida n’était pas là.

ULYSSE.

— Qu’a-t-elle fait, prince, qui puisse souiller nos mères ?

TROYLUS.

— Rien du tout, à moins qu’elle ne fût là. —

THERSITE, à part.

Va-t-il donc lui-même demander raison à ses yeux ?

TROYLUS.

— Elle, ici ? Non, c’était la Cressida de Diomède ! — Si la beauté a une âme, ce n’était pas elle ! — si l’âme guide la foi, si la foi est sainte, — si la sainteté fait les délices des dieux, — si l’unité a sa loi, — ce n’était pas elle ! Ô raisonnement en délire, — qui fait un plaidoyer pour et contre toi-même ! — autorité contradictoire, devant laquelle la raison peut se révolter — sans se perdre, et l’égarement se donner pour la raison — sans révolte ! C’était et ce n’était pas Cressida ! — Dans mon âme commence une lutte — d’une bien étrange nature : l’indissoluble — y est aussi largement séparé que la terre l’est du ciel, — et pourtant l’immense brèche de cette séparation — ne permettrait pas le passage à une — pointe aussi subtile — que le fil rompu d’Arachné ! — Évidence ! ô évidence ! aussi forte que les portes de Pluton ! — Cressida est à moi, attachée à moi par les liens du ciel !… — Évidence ! ô évidence, aussi forte que le ciel même ! — Ces liens, ces liens du ciel sont dénoués, dissous et détendus, — et, par un autre nœud, fait de