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INTRODUCTION.

fait par Charles-Quint chevalier de la Toison d’Or[1] et dont les chefs étaient en France les lauréats de la cour, exigeait, au nom du goût, la stricte imitation des anciens. Selon les théories de cette école, il ne suffisait pas que la littérature nouvelle donnât force de loi aux prétendus préceptes d’Aristote et s’astreignît à l’observation religieuse des trois unités ; il fallait qu’elle adoptât les admirations, les engouements et jusqu’aux superstitions du passé ; il fallait qu’elle élevât un autel aux héros et un temple aux dieux de la littérature antique. Les personnages qu’Homère et les tragiques grecs avaient mis en scène devaient, après deux mille ans, revenir sur le théâtre, pour intéresser sans cesse à leurs malheurs les générations futures. Enfin, par une singulière exigence, il fallait que ces personnages conservassent à jamais les traits immuables que la fantaisie antique leur avait donnés. Il fallait qu’Achille restât continuellement tel que l’avait vu Horace :

Impiger, iracundus, inexorabilis, acer.

Il fallait, selon les règles de l’Art poétique,

Qu’Agamemnon fût fier, superbe, intéressé,
Que pour ses dieux Énée eût un respect austère.
Conservez à chacun son propre caractère.

Si ce système, que préconisaient en Angleterre Philippe Sidney et Ben Jonson, était le vrai, l’œuvre tout entière de Shakespeare était condamnée. De par Aristote, il fallait fermer le théâtre anglais ; du moins, il fallait en chasser Hamlet, Othello, Macbeth, le roi Lear, ces intrus, et le rendre à ses hôtes légitimes, les princes de Troie, de

  1. Le Trissin, auteur de Sophonisbe, la première tragédie régulière qui ait été représentée dans les temps modernes.