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SCÈNE XV.

THERSITE.

Avec trop de sang et trop peu de cervelle, ces deux-là pourraient bien devenir fous ; mais si jamais ils le deviennent par trop de cervelle et trop peu de sang, je veux me faire médecin de fous… Voilà Agamemnon, un gaillard assez honnête, un amateur de cailles, mais il n’a pas autant de cervelle que de cire dans l’oreille. Et son frère le taureau ! ce splendide Jupiter en métamorphose, cette statue primitive, ce buste sinueux de cocu, cette corne à soulier prospère toujours pendue par une chaîne à la jambe d’Agamemnon !… en quelle forme équivalente l’esprit lardé de malice et la malice bourrée d’esprit pourraient-ils le changer ? En âne ? non : il est à la fois âne et bœuf. En bœuf ? non : il est à la fois bœuf et âne. Être chien, mule, chat, putois, crapaud, lézard, hibou, bécasse ou hareng sans œuf, peu m’importerait, mais être Ménélas !… je m’insurgerais plutôt contre la destinée ! Ne demandez pas ce que je voudrais être, si je n’étais pas Thersite ; car je consens à être le pou d’un teigneux pour ne pas être Ménélas… Ohé ! Voici des esprits et leurs flammes !

Il se tient à l’écart.
Entrent Hector, Troylus, Ajax, Agamemnon, Ulysse, Nestor, Ménélas et Diomède, éclairés par des torches.
AGAMEMNON.

— Nous faisons fausse route, nous faisons fausse route.

AJAX.

Non, c’est là-bas ; là, vous voyez les lumières.

HECTOR.

Comme je vous dérange !

AJAX.

— Non, pas du tout.

ULYSSE.

Le voici qui vient lui-même vous guider.

Achille sort de sa tente et vient au devant d’Hector.