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SCÈNE XIII.

TROYLUS.

— Je corromprai les sentinelles grecques, — pour te faire visite chaque nuit. — Mais sois fidèle.

CRESSIDA.

Ô ciel ! encore : sois fidèle !

TROYLUS.

— Écoute bien pourquoi je dis cela, amour. — Les jeunes Grecs sont pleins de qualités ; — leur amabilité se compose de talents naturels. — enflés et rehaussés par les arts et par l’éducation. — Quelle impression peuvent te faire la nouveauté et le charme de leurs personnes, — c’est une question, hélas ! qu’une sorte de pressentiment jaloux — (appelle-le, je te prie, une vertueuse erreur) — rend inquiétante pour moi.

CRESSIDA.

Ô ciel ! vous ne m’aimez pas !

TROYLUS.

— Qu’alors je meure scélérat ! — Ce que je mets en doute, ce n’est pas tant ta foi — que mon mérite. Moi, je ne sais pas chanter, — je ne sais pas enlever la volte à coups de talon, ni emmieller la conversation, — ni jouer à des jeux subtils ; autant de belles sciences — où les Grecs ont le plus de goût et de capacité. — Mais je puis vous dire que chacune de ces grâces — recèle un démon silencieux et insinuant — qui est habile aux tentations : ah ! ne te laisse pas tenter !

CRESSIDA.

— Croyez-vous que je le veuille ?

TROYLUS.

Non ; mais on peut faire ce qu’on ne veut pas — et parfois nous sommes des démons pour nous-mêmes, — quand nous tentons la fragilité de nos forces, — en présumant trop de leur changeant pouvoir.