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TROYLUS ET CRESSIDA.
même, — cet agent le plus pur de la sensation, ne se voit pas lui-même, — puisqu’il ne peut sortir de lui-même ; mais deux yeux qui se rencontrent — se saluent l’un l’autre de leur image respective. — Car la contemplation ne se retourne pas sur elle-même — avant d’avoir voyagé et de s’être mariée à un objet — où elle se voit. Cela n’est pas étrange du tout.
ULYSSE.

— Je ne me récrie pas à ces prémisses — (elles ne sont pas nouvelles), mais seulement à la conclusion de l’auteur. — Dans son raisonnement, il déclare expressément — que nul homme n’est en possession de rien, — quelque valeur qu’il y ait en lui ou hors de lui, — avant d’avoir fait part à autrui de ses qualités, — et que lui-même n’en a pas idée — avant de les avoir vues se développer dans l’applaudissement — qui leur fait écho : pareil à la voûte qui répercute — la voix, ou à une porte d’acier qui, — placée vis-à-vis du soleil, reçoit et renvoie — son image et sa chaleur. J’ai été très-frappé de cela ; — et j’ai pensé immédiatement à Ajax inconnu. — Ciel ! quel homme, me suis-je dit ! Un vrai cheval — qui ne sait pas ce qu’il porte. Ô nature, combien il y a de choses — qui, abjectes dans l’opinion, sont précieuses à l’usage ! — Combien il y en a, en revanche, de précieuses à l’opinion, — qui sont pauvres en mérite ! Peut-être verrons-nous demain, — pour un succès que le hasard lui aura jeté, — Ajax acclamé. Ô ciel, faut-il que certains hommes fassent — ce qu’auraient du faire d’autres ! — que certains hommes se faufilent dans le palais de la capricieuse Fortune, — tandis que d’autres sont là, sous ses yeux même, à faire les idiots ! — et qu’un homme mange à même la gloire d’un autre, — tandis que la gloire s’enivre de sa vanité ! — Voyez ces seigneurs grecs ! en bien, les voilà déjà — qui frappent sur l’épaule ce lourdaud d’Ajax, comme si