Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 4.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
TROYLUS ET CRESSIDA.
premier. Doux ami, dites-moi de retenir ma langue ; — car, dans cette extase, je dirais sûrement — la chose dont je me repentirais. Voyez, voyez, votre silence, — adroitement muet, arrache à ma faiblesse — l’âme de mon secret. Fermez-moi la bouche.
TROYLUS.

— J’obéis, malgré la suave musique qui en sort.

Il la baise sur les lèvres.
PANDARUS.

— Joli, ma foi !

CRESSIDA.

— Monseigneur, pardonnez-moi, je vous en supplie. — Ce n’était pas mon intention de mendier ainsi un baiser. — Je suis confuse… cieux ! qu’ai-je fait ? — Pour cette fois je vous fais mes adieux, monseigneur !

TROYLUS.

— Vos adieux, charmante Cressida ?

PANDARUS.

— Vos adieux ! si vous les faites avant demain matin !…

CRESSIDA, à Troylus.

— Je vous en prie, résignez-vous.

TROYLUS.

Qu’est-ce qui vous offense ici, madame ?

CRESSIDA.

— Ma propre présence, seigneur.

TROYLUS.

Vous ne pouvez pas vous éviter — vous-même.

CRESSIDA.

Laissez-moi essayer en partant. — J’ai une sorte de moi-même qui reste avec vous, — mais un moi-même si méchant qu’il s’abandonne soi-même — pour être le jouet d’un autre… Je voudrais être partie ! — Où est donc ma raison ?… Je ne sais ce que je dis.