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SCÈNE VIII.

PANDARUS.

Je vous en remercie ; si monseigneur a un enfant de vous, vous me l’attribuerez !… Soyez fidèle à monseigneur ; s’il faiblit, lui, prenez-vous-en à moi.

TROYLUS, à Cressida.

Vous connaissez maintenant vos otages : la parole de votre oncle et ma foi inébranlable !

PANDARUS.

Oh ! je donne ma parole pour elle aussi ; dans notre famille, on est longtemps avant de se laisser gagner ; mais, une fois gagné, on est constant. Nous sommes de vraies ancres, je puis vous le dire ; nous nous accrochons où nous sommes jetés.

CRESSIDA.

— La hardiesse me vient à présent et me donne du cœur. — Prince Troylus, voilà bien des tristes mois — que je vous aime nuit et jour.

TROYLUS.

— Pourquoi donc ma Cressida a-t-elle été si lente à se laisser gagner ?

CRESSIDA.

— Lente à paraître gagnée, soit ; mais j’ai été gagnée, monseigneur, — dès le premier regard que… Pardonnez-moi… — Si j’avoue trop, vous ferez avec moi le tyran. — Je vous aime à présent, mais pas au point, jusqu’à présent, — de n’avoir pu maîtriser mon amour… Eh bien, non, je mens. — Mes pensées étaient comme des enfants dissipés, devenus — trop entêtés pour leur mère. Voyez, les folles que nous sommes ! — Pourquoi ai-je bavardé ? Qui sera loyal envers nous, — quand nous sommes si indiscrètes envers nous-même ? — Tout en vous aimant bien, je ne vous faisais pas d’avance ; — mais, en réalité, je désirais être homme, — ou que du moins les femmes eussent le privilége qu’ont les hommes — de parler en