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LE BÂTARD, seul.

— Pour le pas d’honneur que j’ai gagné, — j’ai perdu bien des pieds de terre. — Aussi bien, je puis maintenant faire une lady d’une Jeanneton. — Bonsoir, sir Richard… Dieu vous garde, l’ami ! — Et si le nom de celui qui me parle est George, je l’appellerai Pierre. — Une élévation récente vous fait toujours oublier le nom des pens ; — il faut trop d’attention et de courtoisie pour vous le rappeler — dans votre position nouvelle… Arrive un voyageur. — Je l’invite, lui et son cure-dent, au dîner de ma seigneurie, — et, quand mon estomac chevaleresque est satisfait, — je me suce les dents et je m’adresse — à mon élégant des pays lointains : Mon cher Monsieur, — dis-je d’abord, en m’appuyant comme ça sur le coude, — je vous conjurerai… Ici la Question ; — sur ce, vient la Réponse, comme dans le catéchisme : Oh ! monsieur, dit la Réponse, tout à vos ordres ! — à votre disposition ! à votre service, monsieur ! — Non, monsieur, réplique la Question, c’est moi, mon doux monsieur, qui suis au vôtre ! — Aussitôt, avant que la Réponse ait su ce que veut la Question, — elle coupe court au dialogue des compliments — et vous parle des Alpes, des Apennins, — des Pyrénées et du Pô ; — et, quand elle a fini, il est presque l’heure de souper. — Voilà ce que c’est que la bonne société, — la seule qui convienne aux aspirations de mon esprit. — Le vrai bâtard de notre temps, — (j’en serai toujours un, quoi que je fasse), — c’est celui qui n’a pas un parfum exotique, — non-seulement dans ses habitudes, dans sa conduite, — dans ses formes, dans son accoutrement extérieur, — mais dans ses mouvements les plus intimes, et qui ne sait pas débiter — ce poison si doux, si doux, si doux aux lèvres du siècle : le mensonge. — Ce poison, j’en veux faire une étude, non pour l’employer, — mais pour y échapper ; — car il doit joncher tous les degrés