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Satan allait trouver une vieille dans sa hutte, et il lui disait : Tu es vieille, tu es pauvre, tu es affreuse, tu es la risée et l’horreur de ton village. Quand les enfants te voient passer, ils te lancent des pierres ; quand les filles te voient passer, elles te jettent des malédictions ; et ton Dieu, que fait-il pour toi ? Te protége-t-il contre ces pierres et ces malédictions ? Non ! il te dit : Résigne-toi. — Moi, je te dis : Venge-toi ! Et, pour te venger, je t’accorde une puissance plus grande que celle de tous les rois de la terre. Tu es laide, je te rends invisible. Tu es paralytique, je t’apporte des ailes. Tu es impotente, je te confère la force. Vois-tu cette mer ? Eh bien, tu pourras y souffler la tempête. Vois-tu ces nuages ? Eh bien, tu pourras en soutirer la foudre. Vois-tu ce ciel ? Eh bien, tu pourras en arracher les étoiles ! — Et, pour pouvoir tout cela, vieille, tu n’as qu’une chose à faire : me donner ton âme.

Et la vieille, lasse de se résigner, lasse d’être insultée, lasse d’être lapidée, lasse de prier un Dieu qui la laissait souffrir, la vieille acceptait le marché du Tentateur. Elle livrait son âme et devenait sorcière.

La sorcellerie était l’insurrection sacrilége de toutes les misères contre la loi humaine, de toutes les douleurs contre la loi divine. Elle était la franc-maçonnerie suprême du désespoir. Les sorciers, périodiquement réunis dans leurs invisibles sabbats, formaient une immense société secrète dont le mot d’ordre était : Jouissance ! et dont le chef était l’Antechrist.

Sans cesse menacés par cette conspiration universelle, l’État et la religion se défendaient d’une manière terrible : l’État, par les supplices, la religion, par la damnation. Qui pourra dire combien d’arrêts eurent pour considérant cette injonction impitoyable de la Bible : « Tu ne souffriras point de sorcier parmi toi ? » Quelques