Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/359

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indomptable existence de probité résolue, après avoir vécu au fond des cachots silencieux, plus libre et plus intrépide que le juge tremblant qui, revêtu d’un pouvoir vénal, a vainement essayé d’enchaîner l’impassible esprit ; — alors son doux regard ne rayonne plus la bienveillance ; raidie est la main qui ne se tendait que pour secourir ; évanouie, cette éloquence simple de la raison qui ne rugissait que pour épouvanter le coupable. Oui ! le cercueil a éteint ce regard, et le froid inexorable de la mort a raidi ce bras ; mais le renom inflétrissable que la vertu attache à la tombe de son sectateur, le souvenir immortel de cet homme qui fait trembler les rois, la mémoire avec laquelle l’heureux esprit contemple son héroïque pèlerinage sur la terre, tout cela ne passera jamais !

» La nature rejette le despote, mais non l’homme ; le sujet, non le citoyen ! Car les rois et les sujets, ennemis réciproques, jouent pour toujours une partie funeste au gagnant, dont les enjeux sont vice et misère. L’homme à l’âme vertueuse ne commande ni n’obéit. Le pouvoir, peste désastreuse, vicie tout ce qu’il touche ; et l’obéissance, — fléau du génie, de la vertu, de la liberté, de l’honneur, — fait des hommes des esclaves et de la machine humaine un mannequin !

» Quand Néron, planant au-dessus de Rome enflammes, fondit sur elle avec la joie sauvage d’un démon ; quand il aspira d’une oreille ravie les cris de la mort agonisant, quand, contemplant l’effroyable désolation partout répandue, il sentit un sens, nouvellement créé dans son âme, tressaillir à cette vue et vibrer à ce bruit, crois-tu que sa grandeur n’avait pas dépassé la force de l’indulgence humaine ? Et, si Rome aussitôt n’abattit pas le tyran d’un seul coup, si elle ne broya pas ce bras rougi de son sang le plus cher, n’est-ce pas que l’abjection