Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/355

Cette page a été validée par deux contributeurs.

impossible à désapprendre. Je connais le passé, et j’essaierai d’en glaner un avertissement pour l’avenir, en sorte que l’homme puisse profiter de ses erreurs et tirer expérience de sa folie. Car, quand le pouvoir de départir la joie sera égal à la volonté, l’âme humaine n’aura pas besoin d’autre ciel. »

MAB.

« Tourne-toi, Esprit supérieur ! Bien des choses te restent à examiner ! Tu sais combien l’homme est grand, tu sais combien il est faible. Apprends maintenant ce qu’il est. Tu apprendras ensuite la haute destinée que le temps infatigable réserve à toute âme vivante.

» Regarde ce somptueux palais qui, au milieu de cette cité populeuse, dresse ses mille tours et semble lui-même une cité. Des masses sinistres de sentinelles, par rangs sombres et silencieux, en font le tour. Celui qui demeure là ne peut être libre ni heureux. N’entends-tu pas les malédictions des orphelins, les sanglots de ceux qui n’ont plus de famille ? Il passe, le roi, porteur de la chaîne dorée qui lie son âme à l’abjection ; le fou qui, sous le sobriquet de monarque, n’est que l’esclave des plus vils appétits ! Qu’importe à cet homme le cri de la misère ? Il sourit aux imprécations sourdes que l’indigent murmure tout bas, et une joie farouche envahit son cœur blême quand des milliers d’êtres pleurent devant les miettes que sa prodigalité gaspille dans une orgie sans joie, et qui suffiraient à sauver de la faim tous ceux qu’ils aiment ! Quand il entend le récit de ces horreurs, il se tourne vers quelque visage prêt d’avance à l’hypocrite assentiment, et étouffe la lueur de honte qui, malgré lui, colore sa joue bouffie.

» Puis il traîne son appétit insipide et écœuré au repas de silence, de grandeur et d’excès. Si l’or, qui brille par-