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— Donne-moi la main pour descendre, lui dit sa compagne.

À peine l’inconnue avait-elle touché ce nouveau sol, qu’elle était transfigurée. Ses cheveux gris étaient redevenus noirs ; son front s’était déridé ; ses yeux avaient perdu leur vilaine patte d’oie ; sa taille s’était redressée ; une ravissante fossette avait remplacé sur sa joue le pli sinistre de la vieillesse ; la stryge était redevenue houri !

La surprise du ménestrel continua quand il examina l’endroit où il se trouvait. Il était sous un arbre colossal à l’ombre duquel aboutissaient trois routes. À en juger par son envergure, cet arbre devait avoir plusieurs milliers d’années. Il était chargé de beaux fruits jaunes qui ressemblaient à des pommes.

Thomas, à qui le voyage avait ouvert l’appétit, et qui n’avait rien mangé depuis qu’il avait quitté Enceldoune, eut envie d’un de ces fruits, et il allait en cueillir un, sans plus de cérémonie que si c’eût été une reinette, quand sa compagne lui retint le bras :

— Imprudent ! sais-tu ce que tu vas faire ? Cet arbre que tu vois est le même arbre que les livres saints placent dans le paradis terrestre, et dont Dieu a défendu les fruits au premier homme. Voudrais-tu donc recommencer le péché d’Adam ?

Thomas, qui se rappelait la catastrophe causée par la gourmandise de notre aïeul, retira sa main avec épouvante.

— Aie patience, continua la splendide créature, tu ne perdras rien pour attendre. Nous touchons au terme de notre voyage, et je te promets de te faire faire tout à l’heure un déjeuner plus choisi et moins coûteux. — Vois-tu, Thomas, ces trois chemins qui aboutissent au carrefour où nous sommes ?

— Je les vois, répliqua le ménestrel.