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Un autre critique, M. Thoms, croit être arrivé à la découverte de la vérité. Dans un intéressant ouvrage (Les premiers drames d’Angleterre et d’Allemagne), M. Thoms analyse, d’après Tieck, un certain nombre de pièces de théâtre représentées en Allemagne au commencement du dix-septième siècle et traduites de l’anglais par un certain Jacob Ayrer, notaire de Nuremberg. Une de ces pièces, intitulée La belle Sidée, offre de nombreuses analogies avec La Tempête, et M. Thoms en conclut que la comédie de Shakespeare et la comédie d’Ayrer sont toutes deux l’imitation d’un ouvrage antérieur, aujourd’hui disparu. Voici cette curieuse dissertation :

« L’origine de la fable de La Tempête est, pour le présent, un mystère shakespearien : telles sont les expressions qu’emploie M. Hunter, dans son savant travail sur cette comédie. Le mystère, je le considère, quant à moi, comme expliqué. Tieck n’a pas de doute à cet égard, et j’espère établir la chose de manière à vous prouver la justesse du point de vue de Tieck. Venons au fait. Shakespeare a évidemment tiré l’idée de La Tempête d’un drame primitif, aujourd’hui perdu, mais dont une version allemande a été préservée dans une comédie d’Ayrer intitulée : La belle Sidée. La preuve de ce fait est la ressemblance même des deux pièces, ressemblance beaucoup trop frappante et trop minutieuse pour être le résultat d’un hasard. Il est vrai que la scène où se passe la pièce d’Ayrer et les noms des personnages ne sont pas les mêmes que dans La Tempête ; mais les principaux incidents du drame y sont presque identiquement semblables. — Par exemple, dans le drame allemand, le prince Ludolph et le prince Leudegart ont les rôles de Prospero et d’Alonso. Ludolph est un magicien, comme Prospero, et, comme Prospero, a une fille unique, Sidée, la Miranda de La Tempête. Il a pour serviteur un esprit qui, pour n’être pas exactement Ariel ou Caliban, peut être considéré comme le type original qui a inspiré à la ravissante fantaisie de notre grand poëte ces deux créations si puissamment et si admirablement contrastées. Peu après le commencement de la pièce, Ludolph, ayant été vaincu par son rival et jeté dans une forêt avec sa fille Sidée, gronde celle-ci d’accuser la fortune, et évoque ensuite l’esprit Runcifal pour apprendre de lui leur destinée future et les moyens de vengeance qu’il doit employer. Runcifal, qui est quelque peu boudeur comme Ariel, annonce à Ludolph que le fils de son ennemi va bientôt devenir son prisonnier. — Après un incident comique, introduit très-probablement par l’auteur allemand, nous voyons le prince Leudegart avec son fils Engelbrecht, le Ferdinand de La