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Thomas poussa un gros soupir. Il aurait bien voulu descendre et s’en retourner dans son manoir d’Enceldoune. Mais il avait juré de suivre l’inconnue, et Thomas était de ces gens naïfs qui croient à la sainteté du serment. D’ailleurs, eût-il eu la fantaisie de se parjurer, il n’en avait plus la puissance. Sa compagne, assise derrière lui, l’étreignait sur la selle avec une force surhumaine, et le cheval était déjà parti avec la vitesse d’un hippogriffe. La bête, qui semblait connaître son chemin, brûla la bruyère et s’enfonça dans la montagne.

Les deux amants se trouvèrent alors au milieu d’une nuit profonde.

— Dieu ait pitié de mon âme ! pensa Thomas.

Le cheval galopait à travers une immense caverne qui, longtemps obscure, finit par s’éclairer d’une vague lueur.

— Quelle est cette clarté ? demanda Thomas.

— C’est l’aurore d’un autre soleil, répondit l’autre.

Le cheval avançait toujours et la clarté grandissait. Thomas entendit un bruit de flots et regarda devant lui. Il vit une chose extraordinaire : c’était une énorme rivière rouge qui barrait l’issue de la caverne.

— Quelle est cette rivière ? demanda-t-il.

— C’est le fleuve que fait le sang versé par les hommes. Ce fleuve-là grossit sans cesse ; car il a pour source le meurtre et la guerre pour affluent.

— Allons-nous donc le traverser ?

— Il le faut bien pour arriver dans l’autre monde.

Et, pendant que l’inconnue disait cela, le cheval se jetait dans le fleuve et nageait résolûment. Thomas se sentit mouillé jusqu’au genou par cette houle horrible.

Heureusement, l’animal atteignit vite l’autre bord et s’arrêta.

Aussitôt Thomas mit pied à terre.