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de la terre par la malédiction céleste et condamné, pour son crime, à devenir le Juif Errant de la lune. Cette opinion était générale en Italie, ainsi que le prouve ce verset du Dante :

« Mais viens désormais, car déjà Cain avec son fardeau d’épines occupe la limite des deux hémisphères et touche la mer sous Séville. Et déjà hier, dans la nuit, la lune était ronde, tu dois bien t’en souvenir, car elle t’a servi plus d’une fois dans la sombre forêt. » (L’Enfer, chant xx).

Malgré ces divergences nationales, tous les peuples du Moyen Âge s’accordaient à regarder la lune comme un astre sinistre et comme un satellite de malheur. Cette idée, que Fourier a reprise et développée depuis, se retrouve fréquemment dans les pièces de Shakespeare. Dans le Songe d’une Nuit d’été, le poëte nous dit que, « lorsque la lune est pâle de colère, » les rhumes abondent. Dans Othello, il nous dit que, « quand elle approche de la terre plus près que de coutume, » elle « rend les hommes fous. » Dans Antoine et Cléopâtre, il l’appelle magnifiquement « la souveraine maîtresse de la mélancolie. »

(15) Les dernières paroles, que Shakespeare met dans la bouche d’Obéron, confirment d’une manière splendide le pouvoir providentiel que la tradition populaire du Moyen Âge attribue à la race féerique. Les fées étaient alors dénoncées par l’orthodoxie chrétienne comme des créatures plus que suspectes, qui payaient à l’enfer un tribut. Shakespeare réfute ici cette calomnie, et, quand il fait parler Obéron, c’est au nom du ciel.

Un autre poëte, contemporain de Shakespeare, a consacré tout un poëme à la réhabilitation de ces esprits méconnus. Certes, s’il est un livre dont les fées doivent être fières, c’est le livre d’Edmond Spenser, intitulé : The Faerie queene. Là, en effet, elles sont présentées comme des puissances tutélaires et chevaleresques, qui redressent partout les torts et prennent partout la défense des opprimés. Spenser incarne dans ses héros féeriques ce que la morale a de plus noble et de plus pur. Quant à la reine des fées, elle est pour le poëte la plus auguste personnification. « Dans la reine des fées, dit-il à Raleigh, je désigne la Gloire. » C’eût été une bonne fortune pour la critique de pouvoir comparer la Titania de Shakespeare à la Gloriana de Spenser. Malheureusement, le livre qui était spécialement consacré à la reine des fées a été perdu. La perte est d’autant plus regrettable que ce livre, le douzième et dernier du poëme, était sans contredit le plus important de tous. Il contenait non-seulement le dénoûment, mais le nœud même de l’intrigue si compliquée et si obscure qui remplit les pre-