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Bien des événements s’étaient passés dans la Guyenne depuis que Huon l’avait quittée. Sa mère, la princesse Alix, était morte, et son frère Girard lui avait succédé à la régence. Girard, qui n’était jadis qu’un enfant espiègle, était devenu un méchant homme. Le retour subit du duc légitime de Guyenne le déconcerta vivement, si vivement que, comme l’Antonio de La Tempête, il résolut de se défaire de son frère aîné. — Pour y réussir, il s’embusque, avec une bande de brigands, dans un bois que le duc et la duchesse doivent traverser en se rendant à Bordeaux, et, au moment venu, il fond sur la petite escorte, massacre les douze chevaliers qu’il jette dans le Rhône, renverse Gérasme, le garrotte, ainsi que Huon et Esclarmonde, et les fait tous trois jeter dans une prison de Bordeaux. Ce bel exploit terminé, Girard se rend au plus vite à Paris, auprès de Charlemagne, pour lui raconter l’histoire à sa façon. À l’en croire, Huon n’est qu’un scélérat qui, sans avoir accompli la mission dont il était chargé, n’est revenu en Guyenne que pour la soulever contre l’empereur. Charlemagne, prévenu contre Huon qu’il regarde comme le meurtrier de son Charlot, n’hésite pas à croire le récit de Girard, que confirme, d’ailleurs, la déposition édifiante de deux bons moines. L’empereur, voulant donner au procès toute la solennité désirable, se rend en personne à Bordeaux pour y tenir ses assises. Huon, Esclarmonde et Gérasme comparaissent devant la cour des pairs, pour répondre à l’accusation capitale. Le moment étant venu de prononcer l’arrêt, la moitié des jurés, entraînés par le sage duc de Bavière, se prononcent pour l’acquittement des trois prévenus. Mais Charlemagne décide la condamnation par son vote. Huon et Gérasme doivent être empalés, et la belle Esclarmonde brûlée vive. Les fourches et le bûcher sont dressés sous les fenêtres mêmes du palais où réside l’empereur. Charlemagne a invité les pairs à un dîner solennel, dont ces trois supplices doivent être le dessert : Huon, Esclarmonde et Gérasme se préparent à mourir. Soudain tous les yeux se portent au fond de la vaste salle à manger. Une table, chargée de cinq couverts et portant un cor d’ivoire et un gobelet, a surgi, sur une estrade, derrière le fauteuil de l’empereur, qu’elle domine de deux pieds. Au même instant, des milliers de fanfares se font entendre. La grande porte s’ouvre, et l’on voit entrer d’un pas majestueux le roi de féerie, Obéron, constellé de pierreries et couronné de rayons. Il passe à côté de Charlemagne sans même se détourner, et se dirige vers la table nouvellement dressée. D’un signe, il invite Huon, Esclarmonde, Gérasme et le duc de Bavière à s’asseoir à côté de lui, et présente à ses quatre convives le gobelet, qui se remplit pour eux de la plus