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mieux garder l’incognito. Charlot avait pris le nom de Thiéry des Ardennes. Mais le coup n’avait pas réussi ; la trahison s’était retournée contre le traître ; et, au lieu de gagner une province, ce prince de grands chemins avait perdu la vie.

Le désespoir de Charlemagne n’en fut pas moins grand. Furieux, il voulait courir dans la chambre de Huon et l’occire immédiatement. Mais le sage duc de Bavière le retint, et parvint à lui faire comprendre que Huon, étant duc de Guyenne, était pair de France, et qu’étant pair de France, il ne pouvait être jugé et condamné que par la cour des pairs assemblés.

La cour remit la sentence au jugement de Dieu. Un ami de Charlot, le comte Amaury de Hautefeuille, affirmait que Huon avait tué le prince sans que celui-ci l’eût provoqué, et se disait prêt à soutenir sa déclaration les armes à la main. Les gantelets furent échangés, et le combat judiciaire eut lieu. Dieu se prononça en faveur de l’innocent, et Huon trancha d’un coup d’épée la tête d’Amaury. — Charlemagne n’était nullement satisfait de cette décision ; il prétendit que le coup d’épée ne prouvait rien, que le Seigneur Dieu pouvait s’être trompé, et que, parce que Huon avait occis loyalement Amaury, ce n’était pas une raison pour qu’il n’eût pas occis traîtreusement Charlot. Cependant, à la prière des pairs, l’empereur consentit à accepter l’hommage du duc de Guyenne et à lui pardonner la mort de son fils. Mais il y mit des conditions : « Je reçois ton hommage, dit-il à Huon, et je te pardonne la mort de mon Charlot, mais je t’ordonne de partir sur-le-champ pour aller chez l’amiral sarrasin Gaudisse. Tu te présenteras au moment où il sera à table ; tu couperas la tête du plus grand seigneur que tu trouveras assis le plus près de lui ; tu baiseras trois fois à la bouche, en signe de fiançailles, sa fille unique Esclarmonde, qui est la plus belle pucelle du monde, et tu exigeras en mon nom de l’amiral, entre autres dons et tributs, une poignée de sa barbe blanche, et quatre de ses grosses dents mâchelières. »

Toutes terribles qu’elles sont, le jeune duc accepte ces conditions. Il laisse la régence de son duché à sa mère, la princesse Alix, sœur du pape, et se met en route. D’abord, il se rend à Rome pour prendre en passant la bénédiction du Saint-Père, puis s’embarque pour la Palestine. Après avoir visité les saints lieux, il se décide enfin à gagner les États de l’amiral Gaudisse. Mais il se trompe de route, et, comme il ne sait pas un mot de syriaque, le voilà perdu. Heureusement, le pape prie pour lui, et ce n’est pas en vain. Après avoir erré trois jours dans une forêt, il rencontre un homme de haute taille et