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Autant le lutin était farceur, autant le sylphe était doux. Autant le lutin était folâtre, autant le sylphe était mélancolique. Autant le lutin était effronté, autant le sylphe était timide. Le sylphe, que les Anglais appellent elf, fuyait l’humanité, non par haine, comme le gnome, mais par pudeur. « Les habitants de l’île de Man, chez qui les sylphes résident encore, les appellent les bonnes gens et disent qu’ils vivent dans les déserts, dans les forêts, sur les montagnes et évitent les grandes villes à cause des méfaits qui s’y commettent (Waldron’s Isle of Man, p. 126). » Le sylphe, on le voit, était un misanthrope. Il avait horreur de notre société, de notre civilisation, de nos lâchetés, de nos versatilités, de nos platitudes, de nos sujétions, de nos oppressions, de nos servilités, de nos égoïsmes. C’était dans la nature seulement qu’il pouvait vivre. Il affectionnait les bois, les collines, les prairies, le bord des lacs. Amoureux du printemps, il en portait la livrée et s’habillait tout de vert. C’était même un sacrilége à ses yeux qu’un homme osât porter la couleur de la végétation. Un ministre d’Écosse, le Rév. Graham d’Aberfoyle, dans ses Esquisses du comté de Perth, affirme que le vert est une couleur funeste, qui a causé de grands désastres dans sa famille même, et il n’hésite pas à attribuer ces désastres à l’influence du sylphe

    d’une jeune fille en la ville de Blois en Berry, laquelle fut commise à la garde d’un marmouset que tenait son maître. Elle fut déférée à la justice et confessa qu’il était vrai que s’en allant aux champs, il lui avait recommandé de lui porter à manger et en avoir soin. Elle fut condamnée à la mort par arrêt du parlement de Paris… Wier écrit qu’étant enfant, on voyait souvent chez son père, de ces esprits lares, lesquels jetaient dans les degrés des sacs pleins de grains et d’autres marchandises, tenant alors pour signe certain que les marchands le jour en suivant devaient venir pour les acheter. Ce sont les génies, Lares ou démons qui président ès maisons et s’en veulent rendre maîtres, qu’on appelle esprits Fées. » Mescréance du sortilége plainement convaincue. À Paris, chez Nicolas Buon, rue Saint-Jacques. 1622, p. 380, 381 et 383. Note de la deuxième édition.