Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/98

Cette page a été validée par deux contributeurs.

gnons, mes amis, vous qui avez grandi en même temps que moi sur les bancs de l’école et qui vous êtes depuis dispersés dans la vie, je vous adjure ici, au nom de cette camaraderie qui rapprochait Horatio d’Hamlet ! ne vous laissez pas déconcerter par les éphémères réactions de la matière contre l’esprit. Vous avez, vous aussi, de grandes choses à faire. N’y a-t-il plus de torts à redresser ? plus de maux à guérir ? plus d’iniquités à détruire ? plus d’oppressions à combattre ? plus d’âmes à émanciper ? plus d’idées à réaliser ? Ah ! vous qui avez charge d’avenir, ne manquez pas à votre mission. Ne vous découragez pas. Ne vous laissez pas écarter du but suprême par les obstacles que le monde jette sur votre chemin : intérêts ou plaisirs, peines ou joies. Opposez à la fatalité tyrannique l’incompressible volonté. Restez à jamais fidèles à la sainte cause du progrès. Soyez fermes, intrépides et magnanimes. Et, si parfois vous hésitez devant votre glorieuse tâche, si vous avez des doutes, eh bien ! tournez le dos aux Polonius niais et aux Rosencrantz traîtres ; et jetez les yeux à l’horizon, du côté où le soleil s’est couché, vers ce rocher qui domine la mer et dont le sommet est plus haut encore que la plate-forme d’Elseneur. Regardez bien, et, par cette froide nuit d’hiver, à la pâle clarté du ciel étoilé, vous verrez passer, — armé de pied en cap, le bâton de commandement à la main, — ce spectre en cheveux blancs qui s’appelle le devoir.


23 février 1858.