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et fortune, et plus de sortir de ses mains sans jouir de celui qu’elle aimait plus que soi-même. » Quant à la figure de Laertes, il est impossible d’en trouver trace dans la légende : elle est tout entière l’œuvre du poëte.

La critique contemporaine n’a pas, selon moi, étudié suffisamment cette création de Laertes, qui est sortie toute du cerveau de Shakespeare. Il est évident, en effet, que, si l’auteur s’est décidé à faire entrer dans son drame ce personnage nouveau, ce n’a pas été sans des considérations puissantes. Il est évident aussi que, dans l’intention de l’auteur, ce personnage doit avoir un rôle essentiel. Voyez, en effet, dès le commencement de la pièce, quelle importance Shakespeare attache aux moindres actions de Laertes. Avec quelle complaisance il retarde le moment où Hamlet doit aller trouver le spectre pour nous faire assister aux adieux de Laertes et d’Ophélia ! Ce riant tableau de famille, placé à côté de la sombre scène de la plate-forme, ne doit pas seulement son effet à ce contraste : il a évidemment par lui-même une valeur que le Rembrandt du théâtre a voulu lui donner. Ce n’est pas pour rien que l’auteur nous intéresse si vivement à ces personnages ; ce n’est pas pour rien qu’il nous montre le frère embrassant la sœur, et le père bénissant le fils. Et plus loin, quand nous sommes encore tout émus de l’entrevue d’Hamlet avec l’ombre, ne dirait-on pas que le poëte a peur que notre émotion nous fasse oublier son Laertes ? Comme il fait vite venir Polonius et son intendant pour nous parler de ce mauvais sujet ! Évidemment Shakespeare veut faire quelque chose de ce garçon. Qu’en veut-il faire ? c’est ce que nous ignorons jusqu’au moment où Hamlet tue le vieux conseiller de Claudius dans la chambre de la reine. Alors les intentions du poëte, jusqu’ici impénétrables, se dévoilent.

Désormais, remarquez-le bien, Laertes a sur cette