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cacha sous quelque loudier un peu auparavant que le fils y fût enclos avec sa mère. Lequel, comme il était fin et cauteleux, sitôt qu’il fut dans la chambre, se doutant de quelque trahison et surprise, et que, s’il parlait à sa mère de quelque cas sérieux, il ne fût entendu, continuant en ses façons de faire folles et niaises, se prit à chanter tout ainsi qu’un coq, et, battant tout ainsi des bras comme cet oiseau fait des ailes, sauta sur ce loudier, où sentant qu’il y avait dessous quelque cas caché, ne faillit aussitôt d’y donner dedans à tout son glaive, puis, tirant le galant à demi mort, l’acheva d’occire et le mit en pièces, puis le fit bouillir, et cuit qu’il est le jeta par un grand conduit de cloaque par où sortaient les immondicités, afin qu’il servît de pâture aux pourceaux.

» Ayant ainsi découvert l’embûche et puni l’inventeur d’icelle, il s’en revint trouver la Reine, laquelle se tourmentait et pleurait, voyant que ce seul fils qui lui restait ne lui servait que de moquerie, chacun lui reprochant sa folie, un trait de laquelle elle avait vu devant ses yeux : ce qui lui donna un grand changement de conscience, estimant que les dieux lui envoyassent cette punition pour s’être incestueusement accouplée avec le tyran meurtrier de son époux.

» Mais ainsi que la Reine se tourmentait, voici entrer Amleth, lequel ayant visité encore tous les coins de la chambre, comme se défiant aussi bien de sa mère que des autres, se voyant seul avec elle, lui parla fort sagement en cette manière :

« Quelle trahison est celle-ci, ô la plus infâme de toutes celles qui onc se sont prostituées à la volonté de quelque paillard abominable, que sous le fard d’un pleur dissimulé vous couvriez l’acte le plus méchant et le crime le plus détestable que homme saurait imaginer ni commettre ? Quelle fiance peux-je avoir en