Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 1.djvu/372

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La dernière version nous a semblé la plus logique ; car, pour demander si le spectre a reparu, il faut croire possible l’apparition. Or, le bon Horatio se déclare parfaitement incrédule : « Bah ! bah ! s’écrie-t-il un peu plus loin, il ne paraîtra pas ! »

(3) C’était une idée populaire au moyen âge que les savants seuls pouvaient parler aux esprits. Le grand exorciseur Faust était docteur. La connaissance du latin paraissait nécessaire pour ces conversations avec l’autre monde. Dans le Rôdeur de nuit de Beaumont et Fletcher, Tobie s’écrie, en montrant le revenant : « Il est encore plus long ; le voilà, maintenant, haut comme un clocher. Allons chercher le sommelier, car il parle latin, et ça intimide le démon. »

(4) C’est un usage immémorial dans les pays du Nord de donner un repas à tous ceux qui ont assisté aux funérailles. Dans l’histoire tragique de la belle Valéria de Londres, publiée en 1598, on lit ceci : « Son cadavre fut porté en grande pompe à l’église, et là, solennellement enterré, sans qu’on omît rien de ce que la nécessité ou la coutume réclame : un sermon, un banquet et autres cérémonies. » Hayward, racontant la mort du roi Richard II, dit expressément « qu’il fut enterré obscurément sans qu’un dîner eût lieu pour célébrer ses funérailles. » Aujourd’hui encore, cet usage subsiste dans certaines contrées de l’Angleterre et de l’Écosse, et même dans les campagnes des îles de la Manche. La suppression du repas funèbre passerait, là, pour une lésinerie indigne, et bien des paysans y auraient une piètre idée d’une mère qui ne régalerait pas un peu ses amis après avoir perdu sa fille.

(5) Beaucoup de critiques ont trouvé ces préceptes déplacés dans la bouche du burlesque Polonius. Ils ont accusé Shakespeare de contradiction, parce que l’auteur a prêté « ces belles maximes » à un personnage ridicule, à un homme qu’Hamlet appelle, en mainte occasion : « Vieil imbécile ! niais impudent ! stupide bavard ! » Ces critiques ne se sont pas aperçus qu’en blâmant ici Shakespeare, ils méconnaissaient une des créations les plus admirables et les plus vivantes qui soient jamais sorties du cerveau d’un poëte. Ce qui fait que Polonius est une figure, c’est justement cette contradiction apparente qu’on lui reproche. Polonius est un philosophe tombé en enfance ; c’est un homme d’État casse-cou ; c’est Machiavel-Jocrisse. Où Shakespeare a-t-il trouvé ce type si extraordinaire et pourtant si