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vous devez craindre, — en considérant sa grandeur, que sa volonté ne soit pas à lui ; — en effet, il est lui-même le sujet de sa naissance. — Il ne lui est pas permis, comme aux gens sans valeur, — de décider pour lui-même ; car de son choix dépendent — le salut et la santé de tout l’État ; — et aussi son choix doit-il être circonscrit — par l’opinion et par l’assentiment du corps — dont il est la tête. Donc, s’il dit qu’il vous aime, — vous ferez sagement de n’y croire que dans les limites — où son rang spécial lui laisse la liberté — de faire ce qu’il dit : liberté — que règle tout entière la grande voix du Danemark. — Considérez donc quelle atteinte subirait votre honneur — si vous alliez écouter ses chansons d’une oreille trop crédule, — ou perdre votre cœur, ou bien ouvrir le trésor de votre chasteté — à son importunité sans frein. Prenez-y garde, Ophélia, prenez-y garde, ma chère sœur, — et tenez-vous en arrière de votre affection, — hors de la portée de ses dangereux désirs. — La vierge la plus chiche est assez prodigue — si elle démasque sa beauté pour la lune. — La vertu même n’échappe pas aux coups de la calomnie ; — le ver ronge les nouveau-nés du printemps, — trop souvent même avant que leurs boutons soient éclos ; — et c’est au matin de la jeunesse, à l’heure des limpides rosées, — que les souffles contagieux sont le plus menaçants. — Soyez donc prudente : la meilleure sauvegarde, c’est la crainte ; — la jeunesse trouve la révolte en elle-même, quand elle ne la trouve pas près d’elle.
OPHÉLIA.

— Je conserverai le souvenir de ces bons conseils — comme un gardien pour mon cœur. Mais vous, cher frère, — ne faites pas comme ce pasteur impie qui — indique une route escarpée et épineuse vers le ciel, — tandis que lui-même, libertin repu et impudent, — foule les prime-