Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 2.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
ACTE V, SCÈNE I.

cassius. — Ainsi donc, si nous perdons cette bataille, vous consentez à être conduit en triomphe à travers les rues de Rome ?

brutus. — Non, Cassius, non. Ne pense pas, noble Romain, que jamais Brutus soit conduit enchaîné à Rome ; il porte un cœur trop grand. Il faut que ce jour même consomme l’ouvrage commencé aux ides de mars, et je ne sais si nous devons nous revoir encore : faisons-nous donc notre éternel adieu. Pour jamais, et pour jamais adieu, Cassius. Si nous nous revoyons, en bien ! ce sera avec un sourire ; sinon, nous aurons eu raison de nous dire adieu.

cassius. — Pour jamais, et pour jamais adieu, Brutus. Si nous nous revoyons, oui, sans doute, ce sera avec un sourire ; sinon, tu as dit vrai, nous aurons eu raison de nous dire adieu.

brutus. — Allons, en marche. — Oh ! si l’on pouvait connaître la fin des événements de ce jour avant le moment qui doit l’amener. Mais il suffit, le jour finira ; et alors nous le saurons. — Allons, ho ! partons.

(Ils sortent.)

    faire le restif et s’en retirer : mais maintenant me trouvant au milieu du péril, je suis de toute autre résolution, tellement que s’il ne plaist à Dieu que l’issue de cette bataille soit heureuse pour nous, je ne veux plus tenter d’autres esperances, ni tâcher à remettre sus de rechef autre équipage de guerre, ains me délivreray des misères de ce monde, car je donnai aux ides de mars ma vie à mon pays, pour laquelle j’en vivrai une autre libre et glorieuse. » Plutarque, Vie de Brutus.

    Shakspeare, qui n’a jamais mis en récit que ce qui lui est impossible de mettre en action, renferme ici en une seule scène le changement que plusieurs années ont opéré dans l’esprit de Brutus. C’est d’ailleurs une explication donnée d’avance des raisons pour lesquelles Brutus ne se tuera pas après la mort de Cassius et l’événement très-incertain de la bataille. Il s’annonce comme déterminé à tout supporter avec résignation, excepté le malheur auquel il ne croit pas qu’il soit permis à un homme d’honneur de se soumettre, la honte d’être mené en triomphe. Cette intention de l’auteur est évidente ; les commentateurs anglais qui ont multiplié les notes sur ce passage, auraient dû la faire remarquer.