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ACTE IV, SCÈNE III.

SCÈNE III

L’intérieur de la tente de Brutus. — Lucius et Titinius à une certaine distance.
Entrent BRUTUS et CASSIUS.

cassius. — Que vous ayez des torts envers moi, cela est manifeste en ceci : vous avez condamné et noté Lucius Pella[1] pour s’être ici laissé corrompre par les Sardiens, et n’avez ainsi tenu aucun compte des lettres que je vous écrivais en sa faveur parce que je le connaissais.

brutus. — C’était vous faire tort à vous-même que d’écrire pour une pareille affaire.

cassius. — Dans le temps où nous sommes, il n’est pas à propos que la plus légère faute entraîne ainsi ses conséquences.

brutus. — Mais vous, Cassius, vous-même, souffrez que je vous le dise : on vous reproche d’avoir une main avide, de trafiquer des emplois qui dépendent de vous, et de les vendre pour de l’or à des hommes sans mérite.

cassius. — Moi une main avide !… Vous savez bien que vous êtes Brutus lorsque vous me parlez ainsi ; ou, par les dieux, ce discours eût été pour vous le dernier.

brutus. — La corruption s’honore ainsi du nom de Cassius, et le châtiment est obligé de cacher sa tête.

cassius. — Le châtiment !

brutus. — Souvenez-vous du mois de mars, souvenez-vous des ides de mars. Le sang du grand César ne coula-t-il pas au nom de la justice ? Parmi ceux qui portèrent la main sur lui, quel était le scélérat qui l’eût poignardé pour une autre cause que la justice ? Quoi !

  1. Ce ne fut que le lendemain de cette querelle que Brutus condamna judiciellement en public, et nota d’infamie Lucius Pella, ce qui « dépleut merveilleusement à Cassius, à cause que peu de jours auparavant avoit seulement admonesté de paroles en privé, deux de ses amis atteincts et convaincus de mesmes crimes, et en public, les avoit absouts, et ne laissoit pas de les employer et de s’en servir comme devant. » Plutarque, Vie de Brutus.