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BÉNÉDICK. — Votre esprit est aussi vif qu’un lévrier : il atteint d’un saut sa proie.

MARGUERITE. — Et le vôtre émoussé comme un fleuret d’escrime, qui touche mais ne blesse pas.

BÉNÉDICK. — C’est l’esprit d’un homme de cœur, Marguerite, qui ne voudrait pas blesser une femme. – Je vous prie, appelez Béatrice, je vous rends les armes, et jette mon bouclier à vos pieds[1].

MARGUERITE. — C’est votre épée qu’il faut nous rendre : nous avons les bouchers à nous.

BÉNÉDICK. — Si vous vous en servez, Marguerite, il vous faut mettre la pointe dans l’étau ; les épées sont des armes dangereuses pour les filles.

MARGUERITE. — Allons, je vais vous appeler Béatrice, qui, je crois, a des jambes.

BÉNÉDICK. — Et qui par conséquent viendra.

(Marguerite sort.) (Il chante.)

Le dieu d’amour
Qui est assis là-haut,
Me connaît, me connaît
Il sait combien je mérite…

Comme chanteur, veux-je dire ; mais comme amant ?… Léandre, le bon nageur ; Troïlus, qui employa le premier Pandare ; et un volume entier de ces marchands de tapis dont les noms coulent encore avec tant de douceur sur la ligne unie d’un vers blanc, non, jamais aucun d’eux ne fut si absolument bouleversé par l’amour, que l’est aujourd’hui mon pauvre individu. Diantre ! je ne saurai le prouver en vers : j’ai essayé ; mais je ne peux trouver d’autre rime à tendron que poupon : rime innocente ! À mariage, cocuage ; rime sinistre, école, folle, rime bavarde. Toutes ces rimes sont de mauvais présage : non, je ne suis point né sous une étoile poétique, et je ne puis faire ma cour en termes pompeux.

(Entre Béatrice.)

  1. On connaît l’expression latine clypeum abjicere, pour rendre les armes.