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le poisson fendre de ses nageoires dorées l’onde argentée, et dévorer avidement le perfide hameçon. Jetons ainsi l’amorce à Béatrice ; la voilà déjà tapie sous ce toit d’aubépine. Ne craignez rien pour ma part du dialogue.

HÉRO. — Allons donc plus près d’elle, afin que son oreille ne perde rien du doux et perfide leurre que nous lui préparons. (Elles s’avancent vers le berceau.) Non, non, Ursule : franchement elle est trop dédaigneuse ; je sais qu’elle est farouche et sauvage comme le faucon du rocher.

URSULE. — Mais êtes-vous certaine que Bénédick soit si amoureux de Béatrice ?

HÉRO. — C’est ce que disent le prince et le seigneur auquel je viens d’être fiancée.

URSULE. — Vous auraient-ils chargée, madame, d’en informer votre cousine ?

HÉRO. — Ils me conjuraient de l’en instruire. Moi, je les exhortais, s’ils aimaient Bénédick, à l’engager à lutter contre son affection, sans jamais la laisser voir à Béatrice.

URSULE. — Quel était votre motif ? Ce gentilhomme ne mérite-t-il pas bien une couche aussi fortunée que celle qui peut échoir à Béatrice ?

HÉRO. — Ô dieu d’amour ! je sais bien qu’il mérite tout ce qu’on peut accorder à un homme ; mais la nature n’a jamais fait un cœur de femme d’une trempe plus orgueilleuse que celui de Béatrice. La morgue et le dédain étincellent dans ses yeux, qui méprisent tout ce qu’ils regardent : et son esprit s’estime si haut, que tout le reste lui semble faible. Elle ne peut aimer ni recevoir aucun sentiment, aucune idée d’affection, tant elle est idolâtre d’elle-même !

URSULE. — Oui, je le crois, et par conséquent il ne serait certainement pas à propos de lui faire connaître l’amour de Bénédick, de peur qu’elle ne s’en fît un jeu.

HÉRO. — Oh ! vous avez bien raison. Je n’ai encore jamais vu un homme quelque sage, quelque noble, quelque jeune et quelque doué des traits les plus heureux qu’il pût être, qu’elle ne prit à l’envers. Est-il beau de visage,