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LÉONATO. — Non, non. Regardons la chose comme un songe, jusqu’à ce qu’elle se montre elle-même. Je veux seulement en prévenir ma fille, afin qu’elle ait une réponse prête, si par hasard ceci se réalisait. (Plusieurs personnes traversent le théâtre.) Allez devant et avertissez-la. – Cousins, vous savez ce que vous avez à faire. – Mon ami, je vous demande pardon ; venez avec moi, et j’emploierai vos talents. – Mes chers cousins, aidez-moi dans ce moment d’embarras.

(Tous sortent.)



Scène III

Un autre appartement dans la maison de Léonato. Entrent don Juan et Conrad.


CONRAD. — Quel mal avez-vous, seigneur ? D’où vous vient cette tristesse extrême ?

DON JUAN. — Comme la cause de mon chagrin n’a point de bornes, ma tristesse est aussi sans mesure.

CONRAD. — Vous devriez entendre raison.

DON JUAN. — Et quand je l’aurais écoutée, quel fruit m’en reviendrait-il ?

CONRAD. — Sinon un remède actuel, du moins la patience.

DON JUAN. — Je m’étonne qu’étant né, comme tu le dis, sous le signe de Saturne, tu veuilles appliquer un topique moral à un mal désespéré. Je ne puis cacher ce que je suis ; il faut que je sois triste lorsque j’en ai sujet. Je ne sais sourire aux bons mots de personne. Je veux manger quand j’ai appétit, sans attendre le loisir de personne ; dormir lorsque je me sens assoupi, et ne jamais veiller aux intérêts de personne ; rire quand je suis gai, et ne flatter le caprice de personne.

CONRAD. — Oui, mais vous ne devez pas montrer votre caractère à découvert que vous ne le puissiez sans contrôle. Naguère vous avez pris les armes contre votre frère, et il vient de vous rendre ses bonnes grâces ; il est impossible que vous preniez racine dans son amitié, si