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BÉNÉDICK. — Vous entendez, comte Claudio. Je puis être aussi discret qu’un muet de naissance, et c’est là l’idée que je voudrais vous donner de moi. – Mais sur ma fidélité : remarquez-vous ces mots : Sur ma fidélité. – Il est amoureux. De qui ? Ce serait maintenant à Votre Altesse à me faire la question. Observez comme la réponse est courte. – D’Héro, la courte fille de Léonato.

CLAUDIO. Si la chose était, il vous l’aurait bientôt dit.

BÉNÉDICK. — C’est comme le vieux conte, monseigneur : « Cela n’est pas, cela n’était pas. » Mais en vérité, à Dieu ne plaise que cela arrive !

CLAUDIO. — Si ma passion ne change pas bientôt, à Dieu ne plaise qu’il en soit autrement !

DON PÈDRE. — Ainsi soit-il ! si vous l’aimez ; car la jeune personne en est bien digne.

CLAUDIO. — Vous parlez ainsi pour me sonder, seigneur.

DON PÈDRE. — Sur mon honneur, j’exprime ma pensée.

CLAUDIO. — Et sur ma parole, j’ai exprimé la mienne.

BÉNÉDICK. — Et moi, sur mon honneur et sur ma parole, j’ai dit ce que je pensais.

CLAUDIO. — Je sens que je l’aime.

DON PÈDRE. — Je sais qu’elle en est digne.

BÉNÉDICK. — Je ne sens pas qu’on doive l’aimer, je ne sais pas qu’elle en soit digne, c’est là l’opinion que le feu ne pourrait détruire en moi. Je mourrai dans mon dire sur l’échafaud.

DON PÈDRE. — Tu fus toujours un hérétique obstiné à l’endroit de la beauté.

CLAUDIO. — Et jamais il n’a pu soutenir son rôle que par la force de sa volonté.

BÉNÉDICK. — Qu’une femme m’ait conçu, je l’en remercie ; je lui adresse aussi mes humbles remerciements pour m’avoir élevé ; mais je refuse de porter sur mon front une corne pour appeler les chasseurs, ou suspendre mon cor de chasse à un baudrier invisible ; c’est ce que toutes les femmes me pardonneront. Comme je ne veux pas leur faire l’affront de me défier d’une seule, je me rends la justice de ne me fier à aucune ; et ma peine (dont je ne serai que plus présentable) sera de vivre garçon.