Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 2.djvu/350

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regard, de douces paroles, conviennent à la déloyauté ; parez le vice de la livrée de la vertu ; conservez le maintien de l’innocence, quoique votre cœur soit coupable ; apprenez au crime à porter l’extérieur de la sainteté ; soyez perfide en silence : quel besoin a-t-elle de savoir vos fautes ? Quel voleur est assez insensé pour se vanter de ses larcins ? C’est une double injure de négliger votre lit et de le lui laisser deviner dans vos regards à table. Il est pour le vice une sorte de renommée bâtarde qu’il peut se ménager. Les mauvaises actions sont doublées par les mauvaises paroles. Hélas ! pauvres femmes ! Faites-nous croire au moins, puisqu’il est aisé de nous en faire accroire, que vous nous aimez. Si les autres ont le bras, montrez-nous du moins la manche, nous sommes asservies à tous vos mouvements, et vous nous faites mouvoir comme vous voulez. Allons, mon cher frère, rentrez dans la maison ; consolez ma sœur, réjouissez-la, appelez-la votre épouse. C’est un saint mensonge que de manquer un peu de sincérité, quand la douce voix de la flatterie dompte la discorde.

ANTIPHOLUS de Syracuse.—Ma chère dame (car je ne sais pas votre nom ; et j’ignore par quel prodige vous avez pu deviner le mien), votre science et votre bonne grâce ne font de vous rien moins qu’une merveille du monde ; vous êtes une créature divine : enseignez-moi, et ce que je dois penser, et ce que je dois dire. Manifestez à mon intelligence grossière, terrestre, étouffée sous les erreurs, faible, légère et superficielle, le sens de l’énigme cachée dans vos paroles obscures : pourquoi travaillez-vous contre la simple droiture de mon âme pour l’égarer dans des espaces inconnus ? Êtes-vous un dieu ? Voulez-vous me créer de nouveau ? Transformez-moi donc, et je céderai à votre puissance. Mais si je suis bien moi, je sais bien alors que votre sœur éplorée n’est point mon épouse, et je ne dois aucun hommage à sa couche. Je me sens bien plus, bien plus entraîné vers vous. Ah ! ne m’attirez pas par vos chants, douce sirène, pour me noyer dans le déluge de larmes que répand votre sœur ; chante, enchanteresse, pour toi-même ; et je t’adorerai :