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je te vois toujours. Fatale vision, n’es-tu pas sensible au toucher comme à la vue ? ou n’es-tu qu’un poignard né de ma pensée, le produit mensonger d’une tête fatiguée du battement de mes artères ? Je te vois encore, et sous une forme aussi palpable que celui que je tire en ce moment. Tu me montres le chemin que j’allais suivre, et l’instrument dont j’allais me servir.—Ou mes yeux sont de mes sens les seuls abusés, ou bien ils valent seuls tous les autres.—Je te vois toujours, et sur ta lame, sur ta poignée, je vois des gouttes de sang qui n’y étaient pas tout à l’heure.—Il n’y a là rien de réel. C’est mon projet sanguinaire qui prend cette forme à mes yeux.—Maintenant dans la moitié du monde la nature semble morte, et des songes funestes abusent le sommeil enveloppé de rideaux. Maintenant les sorcières célèbrent leurs sacrifices à la pâle Hécate. Voici l’heure où le meurtre décharné, averti par sa sentinelle, le loup, dont les hurlements lui servent de garde, s’avance, comme un fantôme à pas furtifs, avec les enjambées de Tarquin le ravisseur, vers l’exécution de ses desseins.—O toi, terre solide et bien affermie, garde-toi d’entendre mes pas, quelque chemin qu’ils prennent, de peur que tes pierres n’aillent se dire entre elles où je suis, et ravir à ce moment l’horrible occasion qui lui convient si bien.—Tandis que je menace, il vit.—Les paroles portent un souffle trop froid sur la chaleur de l’action. (La cloche sonne.)—J’y vais. C’en est fait, la cloche m’avertit. Ne l’entends pas, Duncan ; c’est le glas qui t’appelle au ciel ou aux enfers.

(Il sort.)


Scène II

Le même lieu.

LADY MACBETH entre.

LADY MACBETH. — Ce qui les a enivrés m’a enhardie, ce qui les a éteints m’a remplie de flamme.—Écoutons ; silence ! C’est le cri du hibou, fatal sonneur qui donne le plus funeste bonsoir.—Il est à l’œuvre ; les portes sont