Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Guizot, Didier, 1864, tome 2.djvu/250

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ses vertus, comme des anges à la voix de trompette s’élèveront contre le crime damnable de son meurtre, et la pitié, semblable à un enfant nouveau-né tout nu, montée sur le tourbillon, ou portée comme un chérubin du ciel sur les invisibles courriers de l’air, frappera si vivement tous les yeux de l’horreur de cette action, que les larmes feront tomber le vent. Je n’ai pour presser les flancs de mon projet d’autre éperon que cette ambition qui, s’élançant et se retournant sur elle-même, retombe sans cesse sur lui[1].—(Entre lady Macbeth.) Eh bien ! quelles nouvelles ?

LADY MACBETH. — Il a bientôt soupé : pourquoi avez-vous quitté la salle ?

MACBETH. — M’a-t-il demandé ?

LADY MACBETH. — Ne le savez-vous pas ?

MACBETH. — Nous n’irons pas plus loin dans cette affaire. Il vient de me combler d’honneurs, et j’ai acquis parmi les hommes de toutes les classes une réputation brillante comme l’or, dont je dois me parer dans l’éclat de sa première fraîcheur, au lieu de m’en dépouiller si vite.

  1. :::::I have no spur
    To prick the sides of my intent, but only
    Vaulting ambition, which overleaps itself,
    And falls on the other.
    Les commentateurs se sont inutilement donné beaucoup de peine pour expliquer cette phrase ; leur embarras est venu de ce qu’ils n’ont pas fait attention au sens du verbe vault, qui signifie ici voltiger, faire des tours de force (to make postures), d’où il résulte qu’au lieu de comparer, ainsi que l’a cru M. Steevens, son ambition à un cheval qui, se renversant sur lui-même, écrase son cavalier, Macbeth la représente comme un voltigeur (vaulting ambition) qui, s’élançant et se retournant sur lui-même (overleaps itself), retombe continuellement sur le dos de son cheval, et lui tient ainsi lieu d’éperon (spur), pour le forcer à courir. L’image est ainsi parfaitement d’accord dans toutes ses parties ; au lieu que, dans la signification supposée par M. Steevens, l’ambition, comme il le remarque lui-même, se trouverait jouer à la fois le rôle du cheval et celui de l’éperon. On est presque toujours sûr de se tromper lorsqu’on attribue à Shakspeare des images incohérentes ; il a au contraire le défaut d’abandonner rarement une image ou une comparaison, avant de l’avoir épuisée sous tous ses aspects.