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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

César.

Sachez, Cléopâtre, que nous sommes plus disposés à les excuser qu’à les aggraver. Si vous répondez à nos vues, qui sont pour vous pleines de bonté, vous trouverez de l’avantage dans ce changement ; mais si vous cherchez à imprimer sur mon nom le reproche de cruauté en suivant les traces d’Antoine, vous vous priverez de mes bienfaits, vous précipiterez vous-même vos enfants dans une ruine, dont je suis prêt à les sauver, si vous voulez vous reposer, sur moi. Je prends congé de vous.

Cléopâtre.

L’univers est ouvert devant vos pas : il est à vous ; et nous, qui sommes vos écussons et vos trophées, nous serons attachés au lieu où il vous plaira… Seigneur, voici…

César.

C’est de Cléopâtre même que je veux prendre conseil sur tout ce qui l’intéresse.

Cléopâtre.

Voilà l’état[1] de mes richesses, de l’argenterie et des bijoux que je possède. Il est exact ; et jusqu’aux moindres effets, rien n’y est omis. Où est Séleucus ?

Séleucus.

Me voici, madame.

Cléopâtre.

Voilà mon trésorier, seigneur ; qu’il dise, au péril de sa tête, si j’ai rien réservé pour moi ; dis la vérité, Séleucus.

  1. « Elle lui tailla un bordereau des bagues et finances qu’elle pouvait avoir, mais il se trouva là d’adventure l’un de ses trésoriers nommé Séleucus, qui la vint devant César convaincre pour faire son bon valet, qu’elle n’y avait pas tout mis et qu’elle en recélait sciemment et retenait quelque chose ; dont elle fut si fort pressée d’impatience et colère, qu’elle l’alla prendre aux cheveux et luy donna plusieurs coups de poing sur le visage. César s’en prit à rire, et la fist cesser : Hélas ! dit-elle, adonc, César, n’est-ce pas une grande indignité, que tu ayes bien daigné prendre la peine de venir vers moi, et m’ayes fait l’honneur de parler avec moi chestive, réduite en si piteux et si misérable estat, et puis que mes serviteurs me viennent accuser, si j’ai peut-être mis à part et réservé quelques bagues et joyaux propres aux femmes, non point, hélas ! pour moy malheureuse en parer, mais en intention d’en faire quelques petits présents à Octavia et à Livia, à cette fin, que par leur intercession et moyen tu me fusses plus doux et plus gracieux. »