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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

Mais ce même bras qui inscrivait son honneur sur toutes ses actions a déchiré le cœur qui lui prêtait ce courage invincible. Voilà son épée, je l’ai dérobée à sa blessure ; tu la vois teinte encore de son noble sang.

César.

Vous avez l’air triste, mes amis. — Que les dieux me retirent leur faveur, si ces nouvelles ne sont pas faites pour mouiller les yeux des rois.

Agrippa.

Et il est étrange que la nature nous force à gémir sur les actions que nous avons poursuivies avec le plus d’acharnement.

Mécène.

Ses vices et ses vertus se balançaient également.

Agrippa.

Jamais âme plus rare n’a gouverné l’humanité. Mais vous, dieux, vous voulez nous laisser toujours quelques faiblesses pour faire de nous des hommes. César s’attendrit.

Mécène.

Quand un si grand miroir est offert à ses yeux, il faut bien qu’il se voie.

César.

Ô Antoine, je t’ai poursuivi jusque-là ! — Mais nous sommes nous-mêmes les auteurs de nos maux. Il fallait ou que je fusse offert moi-même à tes regards dans cet état d’abaissement, ou que je fusse spectateur du tien. Nous ne pouvions habiter ensemble dans l’univers. Mais laisse-moi pleurer avec des larmes de sang sur toi, mon frère, mon collègue dans toutes mes entreprises, mon associé à l’empire, mon ami et mon compagnon au premier rang des batailles ; le bras de mon propre corps, le cœur où le mien allumait son courage… Que nos inconciliables étoiles aient ainsi divisé nos égales fortunes, pour en venir là ! Écoutez-moi, mes dignes amis… Mais non, je vous dirai mes pensées dans un moment plus convenable.

(Entre un messager.)
César.

Le message de cet homme se devine dans son air ; nous entendrons ce qu’il dira. — D’où viens-tu ?

Le messager.

Je ne suis encore qu’un pauvre Égyptien : la reine, ma maîtresse, confinée dans le seul asile qui lui reste, dans son tombeau, désire être instruite de vos intentions pour pouvoir se préparer au parti que la nécessité la forcera d’embrasser.