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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

Énobarbus.

Ô lune paisible ! lorsque l’histoire dénoncera à la haine de la postérité les noms des traîtres, sois-moi témoin que le malheureux Énobarbus s’est repenti à ta face.

Premier soldat.

Énobarbus !

Troisième soldat.

Silence ! écoutons encore.

Énobarbus.

Ô souveraine maîtresse de la véritable mélancolie, verse sur moi les humides poisons de la nuit ; et que cette vie rebelle, qui résiste à mes vœux, ne pèse plus sur moi ; brise mon cœur contre le dur rocher de mon crime : desséché par le chagrin, qu’il soit réduit en poudre, et termine toutes mes sombres pensées ! Ô Antoine, mille fois plus généreux que ma désertion n’est infâme ! ô toi, du moins, pardonne-moi, et qu’alors le monde m’inscrive dans le livre de mémoire sous le nom d’un fugitif, déserteur de son maître ! Ô Antoine ! Antoine !

(Il meurt.)
Second soldat.

Parlons lui.

Premier soldat.

Écoutons-le ; ce qu’il dit pourrait intéresser César.

Troisième soldat.

Oui, écoutons ; mais il dort.

Premier soldat.

Je crois plutôt qu’il se meurt, car jamais on n’a fait une pareille prière pour dormir.

Second soldat.

Allons à lui.

Troisième soldat.

Éveillez-vous, éveillez-vous, seigneur ; parlez-nous.

Second soldat.

Entendez-vous, seigneur ?

Premier soldat.

Le bras de la mort l’a atteint. (Roulement de tambour dans l’éloignement.) Écoutez, les tambours réveillent l’armée par leurs roulements solennels. Portons-le au corps-de-garde ; c’est un guerrier de marque. Notre heure de faction est bien passée.

Second soldat.

Allons, viens ; peut-être reviendra-t-il à lui.